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... quelque part à Bâle, loin des clochers, loin des clichés.
Qui se souvient du film d’Alain Tanner, « Charles mort ou vif », tourné en 1970 ? Qui se rappelle qu’il est l’un de plus beaux moments cinématographiques de l’après-mai 68 ? Ce film, fait avec deux bouts de ficelle et trois francs six sous, est né en Suisse, au bord du Léman, d’où peut surgir, sinon la révolution, du moins la révolte contre un ordre social éternel, figé, "helvétique".Paradoxalement, l’insoumission, dans ce film, ne vient pas d’une jeunesse en colère, au contraire, c’est un « vieux » qui transgresse et subvertit, et c’est le fils qui reproduit l'ordre conservateur.En deux mots, Charles, le patron d’une petite entreprise (horlogère, bien entendu), lassé d’une vie bien réglée et morne (« Notre vice national, dit-il, c’est le goût immodéré de la médiocrité »), poussé par un fils pressé de remplacer ce père absent et démotivé, prend la fuite, sans laisser de nouvelles (sauf à sa fille, complice), se réfugie dans la maison de Paul et Adeline, des marginaux rencontrés par hasard, où il lit, parle, échange, rêve le monde, et revit. Charles mort, puis vif, à nouveau.Ce film nous montre une Suisse grise et sans charme. Une Suisse ironiquement rêvée par Adeline, qui imagine "les quais du lac devenus un port charbonnier, avec des péniches noires et des cargos, [...] et une magnifique aciérie. La nuit, ajoute-t-elle, mi-amusée mi-sérieuse, on l'entend ronfler et les flammes rouges dansent sur les eaux du lac".Mais qu’importe la pauvreté du décor, l’essentiel du film est dans la parole. Et dans des dialogues savoureux, décapants, ironiques, parfois même poétiques,… et toujours actuels.Tout y passe, des thèmes dont on débat plus que jamais : le mode de vie matérialiste, la course à la consommation, le système économique et social qui ne vous lâche pas, l’environnement que l’on détruit….« Pourquoi vous n’aimez pas les bagnoles ? » demande Paul à Charles. Sa réponse est imparable: "Premièrement la position du conducteur est très mauvaise, elle coupe la digestion et engraisse le coeur [...]. Deuxièmement, la circulation est devenue l'art dramatique des imbéciles. Les accidents sont de misérables tragédies [...] et les risques de la route, tout ce qui nous reste d'aventure. [...] Et, pour terminer, l’automobilisme est un système d’accumulation, d’entassement, mais qui n’apporte pas le moindre échange, à part bien entendu celui de grossièretés, et où les gens ne se rencontrent jamais. […] C’est un système de dispersion sociale : chacun dans sa petite boîte[….]. Et [...] à travers l’automobile, les compagnies pétrolières et les marchands de tôles imposent leur loi, détruisent les villes, font dépenser des fortunes en route et en flics, empuantant le monde et surtout font croire aux gens que ceux-ci ne désirent plus rien d’autre ».C'était dit il y a 40 ans. Rien n’a changé.Dernier plan du film: "RIRA BIEN QUI RIRA LE DERNIER".Film présent au SAVM de la BU Centrale sous la cote: 791.437 TAN ChaLes clichés du bandeau et de la vignette proviennent de Flickr.